Twin Peaks - Page des fans de Twin Peaks
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Twin Peaks

Sommaire


  1. Ses différents auteurs et réalisateurs.
  2. Lynch et la télévision
  3. Le concept de la série.
  4.  » Twin Peaks  » comme lieu. Qui a tué Laura Palmer ?
  5. Les personnages de la série : sont-ils tous fous ? Les trois catégories.
  6. Un extra-terrestre à Twin Peaks : Dale Cooper.
  7. Un monde fou. Un univers épique. Le thème du confort. Une flaque au sein de la nature.
  8. Le rôle des citations. Une recréation du romantisme.
  9. Les larmes chez David Lynch.
  10. La musique comme élément unificateur. L’axe vertical. Le registre du murmure.
  11. La morte dont on parle et la vivante qu’on oublie.

Ses différents auteurs et réalisateurs.
    Lynch n’est certes pas seul dans l’aventure. Il réalise d’abord le pilote de la première série, plus un dénouement-express de l’histoire destiné à la distribution vidéo en Europe. Ce dénouement, très court et complètement inattendu, est très important, puisqu’il servira de matrice à la suite de la série, amenant l’idée notamment de la Red Room, chambre d’attente éternelle délimitée par des rideaux rouges, où n’existent plus ni le temps ni l’espace. Lynch dirige également les premier, second, huitième, neuvième, quatorzième et dernier (le plus insolite visuellement et dramatiquement) épisodes. Chaque épisode bénéficie d’un budget d’environ neuf cent mille dollars. Les autres réalisateurs sont notamment Caleb Deschanel, Duwayne Dunham (le monteur de la série), Tim Hunter, Leslie Linka Glatter, Mark Frost lui-même, Todd Holland, Tina Rathbone (l’amie-réalisatrice de Zelly and Me), Graeme Clifford (le réalisateur de Frances, avec Jessica Lange) et James Foley, ainsi que l’actrice et réalisatrice Diane Keaton. Lynch se borne à superviser avec Frost l’évolution du scénario, mis au fil des épisodes entre des mains diverses, et à intervenir un peu à la finition sur le mixage paroles/musique, tout en laissant à chaque réalisateur une certaine autonomie : on constate d’ailleurs d’un épisode à l’autre des différences légères de style, qui ne vont pas jusqu’à casser l’unité de l’ensemble, mais seulement le renouvellent.

Par exemple, l’épisode 24 réalisé par James Foley a une lumière beaucoup plus en clair-obscur que les autres (plus cinéma), tandis que d’autres dirigés respectivement par Diane Keaton et Caleb Deschanel comportent des cadrages plus audacieux (très gros plans de visages dans le vingt-deuxième) ou des mouvements de caméra plus complexes, créant un suspense purement cinématographique (Lucy se promenant dans le comissariat, dans l’épisode 19). Il ne faut pas croire que ces variations sont seulement l’expression de la personnalité de chaque réalisateur : untel peut très bien avoir introduit des plans insolites pour réalimenter l’esprit d’expérience de la série, et Lynch de son côté, avoir filmé des séquences en champ/contrechamp anonymes et neutres pour mieux fondre sa participation dans le style général !

Cependant, Lynch a osé, dans certains moments qu’il a réalisés, quelques entorses au style télévisé habituel : principalement des plans généraux plus vastes et plus en profondeur qu’on ne se le permet d’habitude au cinéma, a fortiori à la télévision, et qui rélèguent les personnages à la grosseur d’un petit pois dans le champ : par exemple, dans le pilote, la première rencontre Cooper/Truman et la conférence de Ben Horne aux Norvégiens ; ou bien la scène de la banque dans l’ultime épisode. Il met aussi sa griffe visuelle dans des « plans de disproportion » utilisant l’objectif grand angle en contre-plongée sous certains axes, de façon à accuser les disproportions de taille entre les personnages (scènes au Great Northern avec les frères Horne) ou à créer un effet de griserie spatiale qui lui est très particulier, toujours en rapport avec la jubilation de marcher (notamment avec le personnage très tonique du frère de Jerry Horne).

Evidemment, les scènes de la Red Room lui appartiennent entièrement, décrivant une sorte de théâtre perpétuel à la Robert Wilson, figé dans une durée psychotique. Notamment dans la fin du vingt-neuvième épisode, série interminable et fascinante de répétitions d’actes, de phrases, et d’apparitions jouées par des acteurs utilisés comme poupées ou marionnettes, et qui est une des choses les plus expérimentales qu’il ait faites.

Lynch et la télévision.
    Classé aux Etats-Unis comme un réalisateur artistique à l’européenne, David Lynch en a donc surpris beaucoup en s’engageant dans l’écriture, la réalisation et la production d’une série de télévision grand-public. Un entretien donné à Arnaud Viviant pour Libération en juin 1992, lors de la sortie française de Fire Walk With Me a été l’occasion pour lui de situer sa position sur la supposée différence cinéma/télévision.

A la question :  » Quelle différence faites-vous au juste ? « , il répond :  » Jusqu’à la diffusion, aucune. Après quoi, à la télévision, contrairement au cinéma, on a une mauvaise petite image et un mauvais petit son. Mais les processus de fabrication restent les mêmes. On a pareillement filmé, monté, mixé le film et la série  »

Il voit même dans la série télévisée certains avantages très révélateurs de ses propres désirs :
– la très longue durée du récit que permet la formule de la série ( » L’idée de continuité à la télévision est formidable. Ne jamais dire au revoir… « ). Twin Peaks déploie en effet des dimensions insolites avec plus de naturel que certains de ses films de cinéma, à cause de la possibilité qu’une série offre de faire entrer graduellement le spectateur dans un monde différent. De Dune à Fire Walk With Me, en passant par Sailor et Lula, Lynch a toujours ressenti comme étroites les limites de durée du long métrage commercial, qu’il a cherché à distendre. Dune, Elephant Man, Sailor et Lula, et Fire Walk With Me durent systématiquement plus de deux heures, et à chaque fois il est clair que l’auteur aurait préféré une version plus longue.

La télévision serait donc pour lui un médium de chambre, dont la limitation en ampleur et en polyphonie est compensée par un espace en durée plus large :  » La télévision, c’est du télé-objectif, tandis que le cinéma, c’est du grand-angle. On peut jouer une symphonie au cinéma alors qu’à la télé on est limité au grincement. Seul avantage ; le grincement peut être continu « .
– De façon inattendue, la formule à épisodes représente pour Lynch un modèle de liberté structurelle : celle de pouvoir quitter des personnages et d’en retrouver d’autres (ce qui, compressé dans la durée d’un film de cinéma comme Fire Walk With Me, donnera à ce film une structure déconcertante et nouvelle). Elle ouvre aussi une grande licence narrative – la possibilité pour Twin Peaks de pouvoir ne jamais terminer, par exemple, en ne révélant jamais l’auteur du meurtre de Laura Palmer semble avoir fasciné Lynch – qu’on se souvienne des fins ouvertes ou éternisantes d’Eraserhead ou de The Grandmother. Licence narrative ne veut pas dire indifférence à l’histoire, traitée comme un prétexte à dire autre chose, mais croyance telle à cette histoire que, comme un enfant, on veut la mener aussi loin et aussi littéralement que possible.
– Les conditions même psychologiques de réception :  » J’apprécie l’accessibilité de la télévision. Les gens sont dans leurs meubles, personne ne les dérange, ils sont au mieux pour entrer dans un rêve « .

Ce qui en revanche coûte beaucoup à Lynch, c’est l’impossibilité de suivre le produit de bout en bout, et il dit avoir été déprimé par l’obligation d’en déléguer la réalisation.

Le concept de la série.
    Comme toute série télévisée, Twin Peaks partait bien sûr d’un concept, c’est-à-dire d’une définition préalable portant sur son genre :  » C’était le projet de mélanger une enquête policière avec un soap opera. Nous avons dessiné la carte de la ville. Nous savions où était située chaque chose, et cela nous a aidés à déterminer l’atmosphère qui y régnait et ce qui pouvait s’y produire « . De Twin Peaks, Dana Ashbrook, l’interprète de Bobby, dit que c’est un mélange de Peyton Place (célèbre feuilleton mélodramatique porté plusieurs fois à l’écran, petit et grand) et de Happy Days (série humoristique sur quelques jeunes située dans les années cinquante), le tout  » passé au vitriol « . Et Mark Frost, comme il est normal, essaie de se réapproprier sa part dans l’entreprise – certainement plus grande que ne l’ont dit les journaux, prompts à voir dans Twin Peaks l’œuvre uniquement de Lynch – quand il affirme :  » Nous avons essayé de renouveler le soap du soir dans le même sens qu’Hill Street Blues l’avait fait avec le genre policier il y a dix ans. David y a ajouté une touche de surréalisme « .

Mais même s’il s’agit d’une touche, les conséquences de cette touche, dont on ne peut savoir l’étendue, ne sont-elles pas considérables ?

 » Twin Peaks  » comme lieu. Qui a tué Laura Palmer ?
    Twin Peaks – les pics jumeaux – est, très concrètement, une petite bourgade imaginaire de 51 201 âmes (comme le dit la plaque à l’entrée, ornée d’un dessin en forme de M), située dans la région forestière du Nord-Ouest, à quelques miles de la frontière canadienne (le premier titre envisagé était Northwest Passage), et qui comporte notamment : un sheriff department, où officie le shérif Harry S. Truman, ses adjoints Andy et Hawk, la réceptionniste Lucy, un collège (dont nous connaissons les élèves, feue Laura, Donna, James, Bobby, Mike, mais guère les enseignants), un hôpital – où exerce un psychiatre zinzin, Jakoby ; un grand hôtel, le Great Northern, possédé par un playboy ambitieux et sans scrupule, Ben Horne ; une cascade et une rivière, dont l’énergie hydraulique a permis l’établissement de la scierie Packard, scierie que la sœur de « feu » son fondateur dispute à sa veuve, et dont le terrain fait l’objet des convoitises immobilières de Ben. Quoi encore ? Un café-restaurant, le RR ou « Double R », tenu par Norma Jennings, lieu de rencontre de la plupart des personnages, et dont les tartes aux cerises font les délices de l’agent Dale Cooper ; un bar-dancing glauque et improbable, le Roadhouse, pas très différent du Slow club de Blue Velvet ; et puis, pas loin la frontière canadienne, au-delà de laquelle s’allume l’enseigne maléfique d’un tripot-bordel clandestin appartenant à Horne : le Jack-n’a-qu’un-œil (One Eyed Jack). Quoi encore ? Ah oui, nous avons manqué l’oublier : la nature et la forêt, une gigantesque forêt sans fin, qui au lieu de rester au stade de décor de fond, ne cesse de se rappeler à l’existence par ses bruits, ses animaux et ses mystères. S’il y a déjà eu des soap portant des noms de ville : Peyton Place, Dallas, Santa Barbara… et Chateauvallon – dans aucun d’eux le lieu ne prend une importance aussi grande que Twin Peaks, dont certains décors naturels mythifiés : le RR, le Great Northern, situés près de Seattle, sont aujourd’hui devenus des lieux de visite.

On a aussi parfois décrit Twin Peaks comme une sorte de verger de personnages, de harem où tout le monde (dixit Serge Daney dans le numéro un de Trafic) était  » bandant « . En somme, Twin Peaks est d’abord un cadre ouvert à chacun, une corne d’abondance de situations et de personnages, qui leur préexiste de toute façon.

L’action de Twin Peaks, dans le pilote réalisé par Lynch, débute au moment où l’on découvre un cadavre flottant enveloppé dans du plastique : celui de la reine du collège, la blonde Laura Palmer.

L’enquête sur ce meurtre (qui révèle que la jolie Laura, aimée de tous, se droguait, se prostituait, avait des relations sexuelles sado-masochistes avec plusieurs hommes, etc.), menée par Truman et un agent du FBI nommé Dale Cooper (un original, qui se fie à ses rêves, à ses intuitions et à la philosophie tibétaine) nous fera faire la connaissance d’un certain nombre d’habitants de la petite ville, collégiens et parents, garagiste et maire… On ne saura le nom de l’assassin de Laura qu’au seizième épisode : il s’agit de son père, Leland Palmer, possédé par un individu diabolique et peut-être imaginaire nommé Bob. Leland a tué dans les mêmes conditions une cousine de Laura lui ressemblant comme deux gouttes d’eau, Madeleine Ferguson (jouée par la même actrice que Laura, Sheryl Lee).

Mais l’action se poursuivra au-delà de la solution de ce « whodunit », grâce notamment aux méfaits d’un ex-agent du FBI devenu fou et pourchassant Dale Cooper sur les terres de Twin Peaks, Windom Earle, et aux manifestations de plus en plus fréquentes de forces sorties d’un univers parallèle, la Black Lodge, dont l’accès ouvrirait les clés du pouvoir sur le monde. Les indices qui y mènent sont ceux de toute histoire de trésor qui se respecte, phrases énigmatiques, plans cryptés sur un mur de caverne, etc.

Lorsque à la fin de la série, au vingt-neuvième épisode, Dale Cooper trouve l’entrée de cette intraduisible « Black Lodge », il trouve en fait un espace qu’il a déjà rencontré dans ses rêves, une Chambre non pas noire, mais rouge, où semblent siéger pour l’éternité un nain énigmatique, un géant tutélaire (qui s’est déjà manifesté à lui dans ses rêves), Laura elle-même, plus quelques personnes du monde réel à moins que ce ne soient leurs doubles. Dale y a pénétré pour sauver des forces des ténèbres une femme qu’il aime, Annie Blackburne. Il en ressort vivant mais transformé, possédé peut-être à son tour par Bob, à moins que ce ne soit son mauvais double ? C’est sur ce mystère que nous laisse l’interruption, en principe définitive, de la série.

Auparavant, si l’on a pris le temps de suivre l’ensemble dans sa durée (ce que permet son édition complète sur vidéo-cassettes), on a été introduit à un monde fabuleux, et on est presque devenu l’un de ses nombreux personnages, qui ont fait sa réputation, mais sur lesquels, au fil de très nombreux articles, on n’a peut-être pas encore tout dit.

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